jeudi 30 janvier 2020

Point final

15° 39,685' N 89° 00,194' W
Marina Manglar del Rio, Fronteras, Guatemala


05H47 : Cela fait déjà quelques minutes que j'oscille entre le sommeil et l'éveil, à mi-chemin entre une envie furieuse d'aller pisser et celle non moins furieuse de traînasser au lit. Si je calcule bien, j'ai dormi mes six heures... Mais rien ne m'empêche de grappiller quelques minutes, n'est-ce pas ? Hélas, Touline ne l'entend pas de cette oreille et s'ingénie à faire des bruits de toutes sortes pour que je me lève et aille lui servir son petit-déj’.
Donc, en bon esclave que je suis, je me lève. Zika est vautrée sur la banquette du carré, les quatre pattes en l'air. Je sais que elle au moins, va faire la grâce matinée.
Depuis le cockpit, une tasse de café dans une main et une clope dans l'autre, j'observe la marina encore endormie. Avec les fronts froids qui rappliquent du Nord en cette période, la température est anormalement basse (18-20°), le fleuve qui lui est bien plus chaud, fume. Au loin, sur l'autre rive, j'entends les hurlements des singes qui saluent l'aube naissante. C'est beau.

Depuis quelques semaines/mois je réfléchis à ce que je vais bien pouvoir vous raconter dans ce texte que j'ai décidé de vous écrire aujourd'hui. Enfin, quand je dis que je réfléchis... n'allez pas croire que cela me prenne la tête pour autant ! Disons plutôt que cela fait plus d'un an que je suis arrivé au Guatemala, et je ressens le besoin de vous raconter un peu ce qui m'est arrivé depuis. Et puis, sans doute aussi, je me dis qu'il est peut-être venu le moment de mettre un terme à cette aventure d'une manière ou d'une autre...


Si vous me demandez ce qu'il s'est passé depuis un an, spontanément, j'aurais envie de vous répondre pas grand chose. Mais cela serait faux. Dès mon arrivée je me suis installé à la Marina Manglar del Rio, et j'y ai dans un premier temps pansé mes plaies. La traversée depuis la Martinique m'ayant passablement éprouvé, j'avais besoin de vraiment me reposer et de m'adapter tout doucement à mon nouvel environnement. Pendant les premiers mois je me suis appliqué à prendre mes marques et à tisser des liens avec la communauté française du Rio. Pourquoi la communauté française et pas une autre me demanderez-vous ? Bah, parce que tout d'abord y'en a une, déjà. Et puis ensuite parce que c'est quand même plus facile pardi !

Puisque l'on parle de communauté, on peut dire que la population étrangère du Rio Dulce est partagée en deux. D'un côté les étasuniens, très largement majoritaires, qui drainent vers eux tous les étrangers de langues anglaise, et de l'autre les Français qui attirent tous les francophones de la planète. Québecois, Belges, Suisses et autres. Les deux communautés se côtoient et se mélangent ponctuellement, mais les différences culturelles et les langues font qu'au quotidien les gens préfèrent l'entre-soi. Ce n'est ni bien, ni mal, c'est ainsi. Les locaux apprennent assez vite à faire la différence entre un gringo de base et un français. Tout d'abord, en règle générale, les francophones pratiquent plus volontiers l'espagnol ce qui fait que cette communauté-la leur est plus abordable. Ensuite c'est une question de pouvoir d'achat. Les amerloques sont à la fois cupides et exigeants, mais également d'une largesse qui frise parfois l'indécence. Du coup les prix ont tendance à monter de façon spectaculaire, mais ils redescendent aussi sec une fois qu'on a bien fait comprendre à son interlocuteur qu'on n'est pas un gringo.

Bref, pardon pour la digression, mais il me semblait intéressant de vous livrer cette petite analyse sociologique personnelle. Où en étais-je ? Ah oui, prendre mes marques.
Donc pendant quelques mois j'ai pour ainsi dire fait mon trou. Les gens dans la rue principale de Fronteras ont assez vite intégré cette silhouette boitillante toujours accompagnée de son grand chien noir, comme étant celle d'un français plutôt sympa, parlant assez bien l'espagnol, et qui résidait à Manglar.

Puisqu'on parle des gens, permettez-moi de digresser encore une fois. De tous les pays où j'ai pu faire escale, aucune population n'égale la gentillesse des uruguayens. A part peut-être les guatémaltèques. Franchement, je n'ai jamais rencontré de gens aussi respectueux, aussi dévoués. C'est même un peu flippant des fois... Et il m'arrive de me dire que je ne mérite pas autant d'égard.

Bon allez, j'en étais où ? Ah oui, c'est ça, un jour du mois de mars, je découvre que la marina où je me trouvais risquait de se retrouver à devoir embaucher un nouveau gérant... Pour être franc, à l'époque, et même si quelque part j'étais venu ici pour ça, me retrouver face à une telle opportunité, alors que je débarquais à peine dans ce pays, me terrifia. Le poste m'intéressait c'est sûr, mais ma connaissance de l'endroit laissait encore à désirer, mon espagnol n'était pas parfait, mon rythme de vie pantouflard me plaisait bien... Bref, je ne me sentais pas les épaules.
Et puis, lorsque je dis «  risquait de se retrouver à devoir embaucher un nouveau gérant », je ne vous raconte pas les énormes « si » que cela supposait. Franchement sur le papier mes chances étaient de une sur dix.
Mais bon, une opportunité se dessinait au loin, et même si elle restait hypothétique, je décidais de rester à Manglar histoire de voir... En fait, sans réellement postuler pour le poste, j'ai fait en sorte que mon nom apparaisse en tête de liste le cas échéant. Genre, je suis là si vous avez besoin de moi. De temps en temps je filais un coup de main comme je l'ai toujours fait dans toutes les marinas que j'ai pu fréquenter, je servais de traducteur à l'occasion et je donnais quelques conseils, j'aidais aux manœuvres d'amarrage... Bref, je faisais le job sans être rémunéré pour ça.

Et puis un jour de septembre 2019, on m'a proposé de reprendre officiellement la gérance. Comment vous dire... J'ai bien sûr accepté, mais presque aussitôt je l'ai regretté. Tout cela allait trop vite pour moi. Je savais que ma vie allait s'en trouver bouleversée, mes projets à court termes allaient tomber à l'eau... et franchement cela m'a foutu les jetons. Et puis, petit à petit les choses se sont mises en place.


Manglar del Rio est une petite marina d'une trentaine de place, essentiellement axée sur la tranquillité et sa proximité avec le village et ses commerces. Contrairement à d'autres marinas sur le fleuve, il n'y a pas de restaurant, pas d’hôtel, pas de chantier, pas de commerce, pas d’événements. Le seul événement traditionnel, c'est le barbecue du vendredi soir, où je me fais le plaisir de me transformer en chef afin de cuisinier pour tous les résidents et leurs invités.
Comme je l'ai dit, on y cultive la tranquillité. Les clients ont à disposition un grand parc de plusieurs hectares propice aux balades et où Zika s'éclate comme une malade. La piscine. Les commerces à proximité... C'est l'endroit idéal pour y laisser son bateau en toute sécurité pendant la saison cyclonique, ainsi qu'un excellent point de départ pour partir à la découverte de l'Amérique Centrale.

Pour ce qui est du boulot en lui-même, ce n'est franchement pas très compliqué. En gros c'est 10% de technique (amarrage, manœuvre, entretien des bateaux), 10% de paperasserie (comptabilité, facturation) et 80% de relationnel. Bon ok, j'avoue que de devoir être gentil avec tout le monde, de répondre à la moindre récrimination avec le sourire, n'est pas ce que je préfère ! Et que parfois, j'ai l'impression d'être le seul adulte au milieu d'une cour de récréation de minots de six ans. Mais avec le temps j'apprends.
Le salaire est plus que correct compte tenu du pays, j'ai la place de port gratuite pour La Boiteuse, et puis, afin de ne pas trop bouleverser mon rythme de vie, j'ai imposé des horaires qui respecte ma sacro-sainte sieste ! Les bateaux ont interdiction d'arriver ou de partir entre 12H00 et 16H00, point barre !

Lorsque je relis le récit de ma trans-caraïbe, et que je fais le point sur mes attentes versus la réalité, je me rends compte que j'étais arrivé dans ce pays plein d'espoirs, de rêves, de désirs, mais aussi avec pas mal de questions et de doutes. C'est vrai quoi, imaginez un peu, je débarque dans un nouveau pays avec la ferme intention de m'y installer, de me refaire une vie, mais sans absolument aucune idée sur la façon d'y parvenir. Ni même si j'allais m'y plaire ! Objectivement, il y avait là de quoi douter de ma santé mentale tant ce plan comportait d’inconnues... Oui mais voilà, c'était sans compter sans une bonne dose de ce que les gens ont coutume d'appeler la foi, mais que je préfère nommer la confiance en soi. Plus une bonne dose de chance également, je dois le reconnaître. Mais au fond de moi une petite voix me disait que j'allais y parvenir, et j'ai bien fait de l'écouter parce qu'elle avait raison. Car aujourd'hui je dois bien avouer que mes attentes ont été comblées bien au delà de mes espérances.
Jugez plutôt, moins d'un an après mon arrivée dans ce que j’espérais être mon Eldorado, me voilà directeur d'une marina au Guatemala... Non mais sérieusement, vous arrivez à y croire ? (Parce que moi, des fois j'ai des doutes).
Comme quoi, il est des histoires qui se terminent bien... J'ai parcouru pendant des années le monde, ou du moins une partie du monde, à la recherche d'un endroit où je pourrais me poser. Un endroit dont je pourrais dire que c'est chez moi. Un endroit qui me donnerait envie de m'installer et de regarder un peu plus loin vers l'avenir. Et bien, neuf années après avoir quitté la France, je crois enfin pouvoir dire que je l'ai trouvé. C'est le Guatemala.

C'est bien simple, depuis que je suis ici, et que je travaille, je commence à faire des projets... Chose qui ne m'étais peut-être jamais arrivé depuis mes vingt ans. Je m'imagine remettre en état et vendre La Boiteuse. Acheter un petit bout de terrain et y construire une petite maison en bois, avec une grande véranda donnant sur un bras du Rio, la forêt tout autour. Et puis aussi, pourquoi pas, soyons fou, une gentille guatémaltèque et quelques petits morenos qui joueraient dans l'eau avec les chiens. Oui, pourquoi pas...

Alors voilà, l'histoire commencée il y a presque dix ans avec les élucubrations et les rêves d'un pauvre type qui essayait de se reconstruire, va se terminer ici. Après 15532 milles de parcourus, une dizaine de pays visités, une histoire d'amour inoubliable, quelques tempêtes, d’innombrables avaries, deux échouages sans gravité, des milliers de personnes croisées, des dizaines de milliers d'euros dépensés... Je cherchais quelque chose sans trop savoir ce que c'était, et je viens de le trouver. C'est pourquoi il est temps pour moi de mettre un point final à ce blog.

Je vous remercie, vous mes lecteurs qui m'avez lu pendant toutes ces années. Merci pour vos encouragements et votre indéfectible soutien. Je voudrais avoir une pensée particulière envers tous ceux qui un jour, à la lectures de mes aventures, ont décidé également de prendre la route. Je sais qu'il y en a eu quelques-uns qui se sont dit en me lisant, pourquoi pas moi ? Sachez que rien ne me rend plus fier que d'avoir pu vous inspirer. Et si un jour vous doutez du bien fondé de votre quête, si un jour vous avez les boules parce que la mer, la vie ou les gens ne vous font pas de cadeaux, dites-vous qu'à la fin, si vous y mettez un peu du votre, tout peut très bien se terminer. Comme le disait mon ami Hughes, dans la vie il n'est pas interdit d'avoir de la chance... Et putain de bordel de merde, il avait bien raison.

Point final.


dimanche 24 mars 2019

Résilience

15° 39,685' N 89° 00,194' W
Marina Manglar del Rio, Fronteras, Guatemala

J'entends qu'on dit de moi que je suis une personne résiliente... Si vous voulez. Mais personnellement, en ces temps où l'injonction au bonheur et au développement personnel sont devenus les nouveaux diktats de cette nouvelle happycratie que devient notre société, je me méfie un peu de ce concept fourre-tout car il ressemble furieusement à la mentalité corporate et managériale. Bref, entre les mauvaises mains d'un patron, un employé résilient est un employé malléable à qui on peu faire accepter tout et n'importe quoi. Confère le tableau ci-dessous.

Idem pour le concept du « lâcher prise ». Je ne lâche jamais prise, JAMAIS ! J'en connais qui seraient bien trop contents de me piquer mon bout de fromage si jamais cela arrivait... Je garde tout et je n'oublie jamais rien. Et la vengeance est un plat qui se mange froid, voire glacé.

Donc je préfère dire que la vie m'a endurcie, et qu'elle m'a également appris à rebondir et à tirer le meilleur parti des multiples déconvenues qui la compose. Ce n'est plus de la quête du bonheur en ce qui me concerne, c'est de la survie.

Pourquoi je vous parle de ça ? Et bien parce que après trois mois d'attente ma nouvelle annexe est enfin arrivée ! Mais quel est le rapport avec la résilience me direz-vous ?
Le rapport, c'est qu'après m'être fait volé mon annexe à Livingstone quelques jours après mon arrivé au Guatemala, j'ai enfin pu m'offrir l'annexe dont je rêvais depuis des années !

Je vous présente donc ma nouvelle amie ! Voici la Water Tender 9,4 !
Insubmersible, élégante, stable, la Water Tender 9,4 est la compagne idéale pour vous emmener en balade. Dotée de son moteur Mercury 5Cv 2 Temps, elle allie confort, sécurité et rapidité !

En plus, je ne vous dis pas le prix de l'ensemble... Si ? Allez, Annexe plus moteur, j'en ai eu pour 1650 € !

Non mais sérieusement, si c'est pas de la résilience ça ! 








dimanche 20 janvier 2019

Livingstone et le Rio Dulce

15° 39,685' N 89° 00,194' W

Marina Manglar del Rio, Fronteras, Guatemala



Après avoir éteint le moteur de La Boiteuse, mon sauveur, Hector, s'est rangé à couple et m'a annoncé le montant de sa prestation : 60 US$. Fort heureusement, avant de partir du Marin j'avais eu l'idée de prendre quelques dollars américains au distributeur, et même si sur le coup je me suis dit qu'il ne se mouchait pas du coude, c'est avec plaisir que je me suis fendu de trois billets de vingt. On a discuté un peu et j'ai pu me rendre compte que mon espagnol n'était pas aussi rouillé que je le croyais. Ma première grande question fût de savoir ce qu'il avait bien pu se passer la veille avec cette foutue tempête. Le gars me répond que c'est normal, c'est la saison, en décembre et en janvier il est de coutume que des fronts froids descendent des États-Unis et viennent perturber le climat local ! Et que d'ailleurs cela expliquait également pourquoi le niveau de la barre soit si bas puisque le vent vidait littéralement le golf du Honduras. Un phénomène identique à celui que l'on rencontre dans le Rio de la Plata pour ceux qui se souviennent de mon périple en Argentine.

Bon, je m'étais un peu planté sur la route à suivre également, il faut bien que je vous l'avoue. La bouée avec ses pélicans n'était pas vraiment là où je m'attendais à ce qu'elle soit, et j'ai décidé de m'adapter en suivant un cap à partir de sa position réelle, alors que j'aurais mieux fait de suivre les waypoints que je m'étais préparé dès le départ. Comme quoi, sur ce coup-là c'est bien Opencpn qui avait raison.


Livingstone


Lorsque Hector fut parti, je me suis assis dans le cockpit en essayant de réfléchir à ce que je devais faire. Franchement, je n'avais qu'une envie, aller me coucher... Mais je ne pouvais pas. Les instructions nautiques disaient qu'une fois arrivé il fallait hisser le pavillon jaune (c'était fait) et attendre que les autorités viennent inspecter le bateau avant de pouvoir descendre à terre pour faire les papiers. Et de préciser aussi que cela pouvait prendre un certain temps... Bien. Allez mon Gwen, secoue toi un peu ! Ton bateau est une porcherie et tu ne voudrais pas te faire mal voir de ces messieurs n'est-ce pas ?



Alors j'ai bu un café et je me suis attelé à la tâche. J'ai fait de mon mieux, tout en sachant d'avance que sur ce coup-la, le mieux ne suffirait pas. J'ai rangé et nettoyé ce que j'ai pu, et planqué le reste !

Puis vers trois heure de l'après midi, alors que je faisais une pause dans le cockpit en fumant ma pipe et en observant la ville, j'ai vu une lancha se diriger vers moi. A son bord je comptais... Putain, ils étaient sept en comptant le pilote ! J'espère qu'ils ne vont pas monter tous à bord quand même !



Mais je me suis inquiété pour rien, la lancha s'est mise à couple de la Boiteuse et aucun de ces gentlemen n'a bougé son cul de son siège ! Zika était trop contente de voir de nouveaux humains, et Touline a sauté immédiatement dans l'embarcation directement sur les genoux du vétérinaire !

Pendant ce temps-là je présentais les papiers du bateau, mon passeport et les papiers de l'équipage. Puis un type, que j'identifie comme faisant partie d'une agence de voyage (?) me propose de faire les démarches à ma place si je le souhaitais. Moyennant une petite compensation évidement...



Pour être franc, je l'attendais un peu au tournant celui-là, car j'avais entendu parler de ce genre de « prestataire ». Entendons-nous bien, il ne s'agit pas là de critiquer ce que font la plupart de mes coreligionnaires et je peux tout à fait comprendre que l'on préfère s'en remettre à un « pro » pour effectuer ses démarches administratives si l'on a de bonnes raisons pour le faire. Ne pas maîtriser la langue en est une par exemple, ou encore lorsque l'on est paraplégique. Mais lorsque le coût de la prestation revient aussi cher que les frais administratifs, il y a de quoi se poser des questions non ? Concrètement, le type me disait que cela allait me coûter environs mille Quetzales (la monnaie du Guatemala), soit 120 Euros pour régler la Douane, l’Immigration, etc , et qu'il me demandait la même somme pour faire les démarches à ma place.
Euh... Mine de rien, avec son sourire gentillet le type était tout simplement en train de me proposer de se mettre dans la poche le tiers du salaire mensuel moyen guatémaltèque pour trois heures de boulot. Rien de moins. Et sans rougir en plus !

J'ai donc décliné son offre avec hypocrisie, en arguant que j'avais besoin de pratiquer mon espagnol, mais que si je rencontrais des difficultés je ne manquerais pas de revenir vers lui. Lorsque la lancha est repartie, j'ai bien vu qu'il tirait un peu la tronche quand même !



Il devait être quelque chose comme 15H30 lorsque le comité d'accueil est parti, ce qui me laissait à peine une heure et demi pour faire ma clearance avant que les bureaux ne ferment. Allez zou mon Gwen, on met le turbo ! J'ai mis l'annexe à l'eau et me voilà parti !

Sitôt à terre je me met en quête de la seule banque ayant un distributeur automatique pour retirer la somme nécessaire à mes démarche. Là, après quelques essais infructueux je décide d'entrer dans l'établissement et de faire la queue comme tout le monde. Après quelques minutes je tombe sur une charmante préposée qui m'annonce de façon toute aussi charmante que la machine, la seule machine de la ville soit dit en passant, n'accepte plus les cartes MasterCard, seulement les Visas...
D'accord... Je ne suis pas encore tout à fait dans la merde, mais presque. Je lui demande alors si elle peut me changer mes Dollars, et la charmante demoiselle me répond de manière toujours aussi charmante que oui bien sûr elle peut, mais seulement les billets de cinquante, et seulement s'ils sont neufs. Euh... Là oui, pour le coup je suis un peu dans la merde car je n'ai que des billets de vingt sur moi !



En sortant de la banque je me dirige quand même vers le service d'immigration et là je tombe sur un vieux préposé super sympa qui accepte que je règle les frais en Dollars. A un taux largement avantageux pour lui, vous vous doutez bien. Qu'importe, je n'ai plus trop le choix de toute façon. Ce qui est rigolo, c'est qu'au jeu de vouloir changer mes Dollars en Quetzales, j'ai essayé par la suite plusieurs endroits, et c'est finalement lui qui m'offrait le taux le plus intéressant ! (6,5 GTQ/$ au lieu de 7,5)



Bref, lorsque je suis sorti de l'Immigration il était 17H00 moins quelques minutes, j'ai eu juste le temps de me présenter à la Douane et de me faire expliquer les démarches compliquées que j'allais devoir accomplir le lendemain matin.



La nuit tombe sur Livingstone et je décide de rentrer au bateau pour retrouver ma ménagerie. Il fait froid... 17°C dans le cockpit et à peine 23 à l'intérieur. Je suis fatigué par cette journée et je n'ai qu'une envie, manger un bout et me coucher. Comme la veille au soir, Zika refuse de manger... Mais cela ne m'inquiète pas outre mesure. Je me dis qu'elle a sans doute attrapé froid, ou que c'est peut-être le contre-coup de ces dernières semaines.



Le lendemain j'étais à terre à l'ouverture des bureaux près à en finir avec cette séquence administrative. A la différence que cette fois-ci j’emmenais Zika avec moi. Au début, je craignais un peu de devoir me balader dans les rues avec mon chien à cause des nombreux autres chiens errants et parfois faméliques qui y grouillaient littéralement. Mais tout s'est bien passé. Zika était comme une folle de marcher enfin sur la terre ferme, fascinée par toutes ces odeurs nouvelles, et ravie de voir d'autre congénères. Congénères relativement timides par ailleurs. Ces clebs des rues parfois assez balaises s'approchaient pour renifler la belle touriste en robe noire, mais dès que celle-ci faisait mine de vouloir jouer à son jeu préféré « catch me if you can », ils s'en fuyaient la queue basse. Quant aux gens... On m'avait dit que les guatémaltèques aimaient les chiens mais je ne pensais pas que ce serait à ce point-là. Je ne pouvais pas faire dix mètres sans que l'on ne m'accoste pour me demander son nom !



Donc ce matin du mercredi 12 décembre, je me dirigeais vers le bureaux des douanes pour finaliser ma clearance (trois mois, plus possibilité de prolongation de neuf mois, plus enfin prolongation d'un an. Soit deux ans en tout pour le bateau). Puis, la partie la plus sympa fut comme souvent en ce qui me concerne, le passage à la Capitania. 


Dès que je franchis les portes d'une caserne, j'ai de vieux réflexes qui reviennent au galop. Ma posture change, ma façon de parler change, et le dialogue avec les militaires s'en trouve grandement facilité. Surtout que sur ce coup-là j'ai fait un peu fort... Je suis resté à la grille avec Zika à attendre que le planton vienne m'ouvrir. Quand il m'a fait remarqué que j'aurais pu pousser la grille et entrer de moi-même, je lui ai rétorqué que jamais je ne ferais ça sur un terrain militaire. Puis en traversant la place d'arme, je me suis arrêté au pied du drapeau et j'ai fait asseoir Zika brièvement alors que j’esquissais un petit garde à vous réglementaire. Puis j'ai ensuite attaché ma chienne à une barrière juste à côté d'un garde armé en lui demandant de bien vouloir la surveiller pour moi. Si señor !

Vous pensez bien que mon petit manège n'est pas vraiment passé inaperçu, et lorsque je suis entré dans les bureaux j'ai eu droit au tapis rouge ! Surtout qu'il arrive toujours un moment dans la conversation où j'arrive à glisser que je suis considéré comme Capitaine de réserve dans mon pays... À partir de là, j'ai eu droit à des si Capitán , no ay de problema Capitán, bienvenido a Guatemala Capitán ! Bref, en sortant de là je m'étais fait de nouveaux copains !



Une fois les formalités finies, j'ai traîné un peu en ville avec Zika, à la recherche d'un endroit où me connecter à internet afin de prévenir de mon arrivé au Guatemala. Ceci fait, je me suis offert une délicieuse quesadilla dans un petit resto avec vu sur le fleuve... Tranquille !

Et c'est en rejoignant mon annexe que j'ai constaté que quelque chose clochait avec Zika... Elle n'était vraiment pas bien, un peu comme étourdie, apathique, et surtout très chaude. Je me suis creusé les méninges en essayant de me rappeler si elle avait mangé un truc par terre, mais non. Je l'ai gardé en laisse tout du long, ce n'était donc pas ça.

Et dans la soirée ça a empiré... Elle peinait à ouvrir les yeux, et j'ai dû la porter pour la coucher sur la banquette du carré. Et bien sûr elle ne mangeait toujours pas. Je vous avoue que je craignais un peu de la retrouver morte à mon réveil le lendemain.



Mais non, le jeudi matin la Zika était toujours vivante ! Toujours aussi flapie, mais avec semble t-il un regain d'énergie par rapport à la veille au soir. Elle a même avalé quelques croquettes que je lui présentais une à une à la main. C'est donc un poil rassuré (juste un poil) que j'ai pu m'atteler à la tâche du jour. A savoir, tenter de comprendre pourquoi mon bateau n'avait pas voulu s'arrêter lors de mon arrivée.

Au début, je pensais que c'était un problème avec ma poignée d'inverseur... Un problème récurent depuis quelques mois que je devais normalement solutionner mais que j'avais tout simplement oublié. Et là j'entends déjà ma copine Valérie me faire tout un tas de reproches... Bon ok Valérie, tu avais raison ! J'aurais dû m'en occuper !

Bref, il ne m'a pas fallut longtemps pour diagnostiquer le problème d'autant que celui-ci se voyait comme le nez au milieu de la figure : Rupture du câble d'inverseur. La gaine s'était complètement effilochée au niveau d'une varangue et le câble corrodé avait finit par se rompre sous l'effort.

Bon, c'était moins grave que je ne le pensais. Ce genre de câble aux normes internationales équipe tout les bateaux à moteur du monde, ce ne devrait pas être très compliqué d'en trouver un autre...

Euh... en fait si. J'ai parcouru Livingstone dans tous les sens à la recherche d'un magasin susceptible de me vendre un tel câble, impossible d'en trouver un ! Tout le monde me disait que j'allais devoir aller jusqu'au grand port de commerce d'à côté Puerto Barrios !

Sauf que question monnaie je commençais à être un peu juste. Les quelques dollars que j'avais convertis en Quetzales avaient fondus comme neige au soleil depuis mon arrivé, et il fallait que je fasse un peu gaffe à mes dépenses. Et c'est là que je me suis souvenu de la proposition d'Hector (mon sauveur) de m'adresser à lui si jamais j'avais du mal à résoudre mon problème de moteur... Je me suis rendu chez lui, et là bingo ! Il devait en avoir une demi-douzaine plus ou moins usagés dans son hangar ! Et l'après midi j'entrais en possession d'un nouveau câble, deux fois trop longs (pour le prix du neuf quand même !) mais qui allait parfaitement faire l'affaire. Du moins jusqu'à Fronteras.



Le lendemain, le vendredi 14 décembre, je consacrais ma matinée à installer le nouveau câble. J'ai dû faire quelques tours morts pour arriver à le caser, mais le résultat s'imposait de lui-même : Tout fonctionnait parfaitement ! Je me demande même si un jour j'ai eu une poignée d'inverseur aussi douce ! J'étais assez fier de moi sur ce coup-là je l'avoue...



Zika ne se sent pas très bien...
Dans l'après midi je suis allé réglé Hector et on a papoté de tout et de rien. Du fait que j'étais célibataire sans enfants à 51 ans (Une hérésie dans cette partie du monde !), de ma jolie petite annexe et de son moteur tout neuf, de l’intérêt du moteur deux temps sur le quatre temps, etc... Et j'en ai profité aussi pour lui demander où je pouvais trouver un véto pour Zika, et il m'a répondu qu'il allait me falloir aller jusqu'à Fronteras pour ça. J'ai réfléchis un peu, Zika semblait aller mieux même si ce n'était toujours pas la grande forme, et l'on annonçait de la pluie pour le week-end... J'ai donc décidé d'attendre le lundi pour emprunter les gorges du Rio Dulce afin d'en profiter au maximum sous le soleil. D'autant que je commençais à apprécier Livingstone, sa population bigarrée, le sourire des indiennes en jupes traditionnelles qui vendaient des tortillas dans la rue, les garifunas exubérants...



Le lendemain, samedi 14 décembre, je me suis levé avec la ferme intention de glander tout le week-end. Il pleuvait par intermittence, le ciel était gris, bref il faisait un temps idéal pour ça. Sauf que vers sept heures du matin, en allant faire un tour sur le pont entre deux averses j'ai eu la désagréable surprise de constater que mon annexe n'était plus là... Disparue ma Walker Bay avec son moteur tout neuf ! Le câble en acier et les amarres pendaient lamentablement le long de ma coque !

Je crois bien qu'ils ont dû m'entendre jurer depuis les pontons de la ville. Putain de bordel de merde de chié pute con !



Au début, j'étais très en colère, mais sans trop savoir exactement contre qui. Puis je me suis souvenu de la conversation que j'avais eu la veille avec Hector et des nombreux témoins qui y ont assisté. Je me suis rappelé avoir lu maintes et maintes fois qu'il n'était pas prudent de rester trop longtemps devant Livingstone, que les garifunas étaient tous des voleurs... Mais je crois bien qu'au final je m'en voulais surtout à moi-même. Je m'en voulais de ma naïveté, de ma grande bouche, de mon dilettantisme. J'étais furax de me retrouver coincé sur mon bateau, dans ce pays que j'avais choisi et qui me souhaitait la bienvenue en me faisant un vrai coup de pute. J'étais véritablement hors de moi.



Ensuite, il a bien fallu que je me calme et que je réfléchisse. J'envisageais un instant d'interpeller une lancha et de me faire conduire à terre afin d'aller voir la police, mais je savais ne pas être d'humeur à négocier le prix de la course. De plus je doutais fortement du résultat d'une telle démarche. Assez vite une solution bien plus simple s'imposa d'elle-même : J'avais désespérément besoin d'être à quai et accessoirement de voir un vétérinaire pour mon chien, donc j'allais foutre le camp de cette ville de merde.

Et à huit heures du matin, La Boiteuse décrochait son ancre et commençait à remonter le fleuve.



Embouchure du Rio Dulce


Bon, vous doutez bien qu'aussi magnifiques qu'elles soient, je n'ai pas vraiment profité de cette remontée des gorges du Rio Dulce. Enfin si, un peu quand même.





Qui plus est, ne disposant d'aucune carte du fleuve et du lac, j'avais les yeux rivés en permanence sur le sondeur. Ce qui fait que je garde de cette navigation un souvenir mitigé. Ok c'est sympa, d'accord, mais c'est aussi stressant quand on fait ça pour la première fois. J'imagine que les fois suivantes, lorsque l'on n'a qu'à suivre la trace précédente, on a plus le temps de profiter du paysage. Deux heures plus tard nous entrions dans un premier lac qui s'appelle El Golfete, encore deux heures plus tard j'arrivais en vu de Fronteras.



Un Rancho sur le bord du fleuve (on dit aussi une palapa)


Pour avoir étudié à fond les photos satellites, je repérais assez vite la marina que je m'étais choisi, Manglar del Rio. Pourquoi celle-la ? Et bien parce que pas mal de copains y ont séjourné et en ont gardé une bonne impression, mais aussi parce qu'elle est fréquentée presque exclusivement par des francophones. Je me disais que pour une première approche de mon future chez moi, ce serait bien d'y aller en douceur et que de pouvoir parler ma langue au moins les quelques premières semaines ne serait pas une mauvaise chose. Et en plus elle fait partie des moins chères donc...



Deux petits ronds dans l'eau aux abords des pontons histoire de se faire remarquer et hop, me voilà amarré. Aussitôt Touline gicle du bateau et pars explorer les alentours. Zika, toujours bien patraque ne se fait pas priée non-plus... Et moi je suis vidé, crevé, mort. Ces quatre heures debout dans mon cockpit ont eu raison de ma cheville. Je n'aspire qu'à une chose, dormir.



Épilogue :



Marina Manglar del Rio
Voilà plus d'un mois que La Boiteuse est amarrée à la marina Manglar del Rio. Le temps s'écoule à une vitesse folle ! C'est bien simple j'ai l'impression d'être arrivé la semaine dernière ! Mon organisme est encore en phase de récupération, et moi en phase d'exploration. Dès le lundi suivant mon arrivée, je me suis précipité chez un vétérinaire pour faire ausculter Zika. Après une prise de sang il n'a pas traîné pour diagnostiquer une erhlichiose. Une infection causée par une saloperie de bactérie transmise par les tiques, que la pauvre aurait contracté avant notre départ de Martinique. Diagnostique confirmé depuis, car il semblerait qu'une quinzaine de chiens soit concernée au Marin et à Sainte Anne.

Zika est depuis sous traitement antibiotique et récupère tout doucement. Elle profite à fond du grand parc de la marina, et passe son temps à courir après les oiseaux et les papillons. Touline elle s'est transformée en jaguar et rôde la nuit pour surprendre les souris et les lézards. Je suis ravi pour elles, même si je m'inquiète quand même un petit peu. Car ici, ce n'est pas vraiment le ponton du Marin et aux alentours rodent serpents et crocodiles... Mais bon, elles ont l'air heureuse et c'est bien ce qui compte.

L'épisode malheureux de Livingstone est définitivement derrière moi, et je peux dire que pour l'instant le Guatemala correspond à mes attentes. Peu onéreux en règle générale. Population sympa et accueillante. Météo un peu fraîche mais dénuée de vent donc tout va bien. Du wifi partout... D'ici la fin janvier je devrais recevoir une nouvelle annexe et un nouveau moteur, ce qui me permettra d'être un peu plus mobile. Je vais pouvoir ainsi partir explorer d'autres marinas moins chères, voire même, pourquoi pas, me trouver un petit mouillage sympa. Bref, tout va bien en pays Maya !






T'en veux du vert ?
Touline en mode Jaguar
Serpent Liane (Oxybelis aeneus)



Un Basilic (Corytophanes hernandesii)




dimanche 30 décembre 2018

La Dernière Nave – Partie 3

15° 39,685' N 89° 00,194' W

Marina Manglar del Rio, Fronteras, Guatemala



Le vendredi 7 décembre 2018



06H25 : Lorsque j'ai refermé la porte hier au soir, au comble de l'énervement, je pensais avoir touché le fond. Sincèrement. Je n'aspirais qu'à une chose, me coucher et dormir pour oublier où j'étais et ce que je faisais. J'ai été d'une tyrannie sans nom avec mes animaux, je ruminais de sombres pensées... Bref, j'en avais plein le cul de cette journée, et j'avais hâte que le sommeil m'en délivre enfin.

Ouais c'est ça... Compte là-dessus et bois de l'eau fraîche mon Coco !



Moins d'une heure plus tard les premiers éclaires ont commencé à déchirer la nuit. Le tonnerre grondait, menaçant comme des tambours de guerre avant la bataille. Et puis soudain le froid est arrivé. En l'espace de quelques secondes la température a chuté de 10°. Ensuite est venue la pluie, à grosses gouttes, et enfin le vent, mugissant. Ça a duré jusqu'à minuit environ...

Les vagues déferlant avec fracas, la pluie froide et des rafales à quarante nœuds (j'ai beau ne pas avoir d'anémomètre, je sais très bien le bruit que fait le vent lorsqu'il frappe mon bateau à 40 Nds, croyez-moi), et puis de temps en temps, la pétole absolue. La Boiteuse engluée, soumise aux seuls caprices de la mer déchaînée. Et puis rebelote !

Tout ça pendant six heures environ... Vers minuit je me suis couché, roulé en boule dans mon duvet détrempé. Je me foutais de savoir où nous étions, ni même où nous allions... Qu'importe, on verrait ça demain.



J'ai dormi d'une traite jusqu'à 05H45. J'ai pris mon café, nourri et fait faire prendre l'air à mon équipage. Et puis j'ai relevé les coordonnées et noté le loch (la distance parcourue), la pression atmosphérique (1014 Hp), et j'ai ouvert mon PC. Pour ne rien vous cacher, je m'attendais vraiment à me retrouver chez les pirates. Cette zone du plateau continental hondurien que je cherchais à éviter justement... Et bien non. La Boiteuse, Ma Boiteuse, celle-la même dont j'avais encore une fois maudit le nom la veille au soir m'avait mené pile-poil où il fallait. Pendant la nuit nous avions parcouru 60 Milles au 265°, c'était parfait.

C'était un peu comme dans cette histoire de cocher qui s’endort sur sa charrette, et c'est la vieille jument qui ramène tout le monde à la maison...



Ce matin, il reste encore quelques nuées menaçante tout autour de moi, mais la mer est un peu moins chaotique. Les grosses vagues déferlantes ont disparu. La Bête somnole... Mais on sent bien qu'un petit rien pourrait la réveiller. Je ne sais pas, c'est quelque chose dans l'air... En attendant on avance à 5 Nds, tous les ris sont pris dans la GV et on a l'équivalent de la surface d'une couette pour enfant à l'avant.



07H00 : La Bête se réveille...


Je sais, il faut changer les coussins... N'est-ce Zika ?


09H00 :  
Tous les cris les S.O.S.
Partent dans les airs
Dans l'eau laissent une trace
Dont les écumes font la beauté
Pris dans leur vaisseau de verre
Les messages luttent
Mais les vagues les ramènent
En pierres d'étoile sur les rochers


Je viens de voir une bouteille qui flottait, et ça m'a rappelé cette chanson de 1985...

Vous savez, en vrai l'océan est bien plus propre que ce que certains marchands d'illusions voudraient vous faire croire. Îles flottantes de déchets, 7ème Continent... J'en suis venu à croire que tout ça ne sont que des gros fakes, destinés à vous soutirer de l'argent en comptant sur votre bon cœur et votre culpabilité de nantis. Une vaste escroquerie, intellectuelle et financière.

Il m'est arrivé de voir des endroits sales, bien sûr. Aux abords des grandes métropoles comme Salvador do Bahia, Rio de Janeiro, Agadir, Port of Spain... Mais cela reste exceptionnel et restreint aux zones où la population est dense. En vrai, dans la vraie vie je veux dire et pas sur internet, et d'après mon expérience qui n'est plus si petite, toutes ces conneries n’existent pas. Je suis en mer des Caraïbes depuis onze jours, et c'est le premier déchet que je vois flotter à la surface. Pourtant si l'on veut croire ces oiseaux de malheur, je devrais actuellement naviguer au milieu des bouteilles en plastique et des sachets qui tuent les tortues... Conneries je vous dis.



10H25 : Je souris. Moi qui avait imaginé cette descente sur Roatan puis sur Livingston, navigant sous spinaker dans une mer pareille à un lac... Et nous voilà à presque six nœuds dans une mer démontée !

Hier au soir j'aurais été incapable de le faire, ce soir peut-être non-plus, mais pour l'heure je goutte l'ironie de la chose.



11H30 : J'ai la chanson de Balavoine dans la tête. Impossible de m'en débarrasser !



12H00 : Tout roule. 6 Nds de moyenne et le cap est parfait. Il reste 361 Milles à faire.



12H30 : C'était saucisses au lentilles ce midi. Sinon, parce que j'aime ça et qu'à ce stade de la navigation je ne peux vraiment pas m'en empêcher, je vous soumets ces quelques calculs d’apothicaires.

Si nous continuons à un train même modéré de 5 Nœuds, nous poserons l'ancre de La Boiteuse en face de Livingston lundi 10 décembre vers midi. C'est à dire dans trois jours !!! Plus tôt si on va plus vite, et plus tard si on va moins vite, bien sûr.

Donc, à partir de maintenant, il est interdit, je dis bien INTERDIT, de descendre en dessous de 4,7 Nds de moyenne sous peine d'arriver lundi soir après la tombée de la nuit. C'est bien compris ? Allez, rompez !



14H10 : Tous comptes fait, s'il n'y avait pas cette houle de merde ce serait une mer assez sympa. On est sur du F3 tranquillou... Mais non, il faut que cette salope gâche tout et transforme la moindre activité en épreuve digne de Kho-Lanta ! Je viens d'aller aux Toilettes, un enfer. Faire la cuisine, une gageure. Remplir le livre de bord, un calvaire. Consulter la carte sur l'ordinateur, une putain d'épreuve ! Elle va me faire chier combien de temps encore cette houle à la con, hein ?

Vous vous rendez compte que je commence à avoir des escarres aux fesses à force de reste le cul vissé sur mon banc !



15H20 : On commence à manquer de vent... Je me met à 170° du vent, les voiles en ciseau, déroule un peu de Mule... et on peine à atteindre les cinq Nœuds. Sauf au surf, lorsque la houle nous prend par derrière (je sais, l'image est douteuse).

Pour bien faire il faudrait que je relâche un ris, mais il va faire nuit dans trois heures et je n'ai pas envie de me retrouver trop habillé si par malheur un grain survient nuitamment. Donc on laisse tout comme ça.



16H10 : On vient de se faire survoler à basse altitude par un petit bimoteur. Mon Mer-Veille a sonné, ça veut dire qu'il nous a pris dans son radar. Ce sont des narcos vous croyez ? En tous cas ce n'était pas l'armée...



16H35 : Front nuageux à six heures ! Comme quoi, Keske je disais tout à l'heure hein ???



17H10 : En plus de la grosse méchante houle qui nous prend par les ¾ arrière, on a maintenant une plus petite venue du Nord qui nous prend par le travers. On appelle ça une houle croisée. J'te jure, elle m'aura tout fait cette mer des Caraïbes !



18H00 : 5 Nœuds pour les dernières six heures. Je ne sais pas comment on à fait, mais c'est pas mal du tout. Las Ilslas Santanilla dans 25 milles, c'est à dire qu'on les doublera vers 23H00. Mas o Menos. Faudra pas t'endormir hein Capitaine ?




Le samedi 8 décembre 2018



06H20 : J'ai passé une partie de la soirée à essayer de consolider le portique... En effet, le roulis et les déferlantes intempestives, ont eu raison de la branlante installation. Une soudure a lâché avec un bruit sec, et les panneaux ont commencé à vouloir se barrer à chaque fois que le bateau se couchait. Heureusement, j'étais réveillé lorsque c'est arrivé, et j'ai pu agir tout de suite. J'ai brêlé tout ce que j'ai pu, rajouté des cordages pour haubaner en diagonal... Bref, c'est du travail bâclé, fait dans l'urgence, mais au moins cela nous a permit de passer la nuit.

5,18 Nds sur la nuit, c'est pas mal, sauf que le cap lui l'est beaucoup moins. Depuis minuit nous avons fait du 280° alors qu'un 250° eut été préférable (normal, j'ai essayé de diminuer le roulis pour préserver mon portique).

Donc, là j'attends qu'il fasse grand jour, je remets le bateau sur les rails et ensuite je m'attaque à ce portique.



06H45 : J'ai empanné, voile en ciseau à 165° du vent, cap sur les îles du Honduras.



06H50 : Au fait, cette nuit vers 23H30 on est passé à 11 milles au sud de la Sentinelle. Sinon, je savais qu'en mer des Caraïbes, plus on se rapprochait des côtes de l'Amérique Centrale, plus la mer devenait mauvaise. Pas le vent, je parle bien de la mer. Et c'est normal puisque c'est là que viennent buter toutes les vagues de l'Atlantique. Imaginez cette énorme masse liquide en mouvement, venant se ruer dans un cul de sac... Le bordel que ça doit être. Je le savais, on me l'avait dit, mais je me figurais que cela ne concernait que la région de Panama... Je ne pensais pas que cela concernerait aussi le Golf du Honduras. Je n'ai jamais rien lu là-dessus... Alors suis-je victime de circonstances particulières ou bien est-ce une caractéristique locale que les gens ont omis de signaler ? (*) Je n'en sais rien. Il faudra que je demande des précisions aux habitués du Rio Dulce.



(*) Car oui, c'est malheureux à dire mais certains blogs, pour ne pas dire la plupart, omettent souvent de parler des galères propres au voyage en bateau. J'appelle ça des blogs de Bisounours. Tout doit être léché, propre, idyllique. Rien ne doit venir contredire une image de carte postale soigneusement entretenue... Et il faut surtout que le lecteur bave d'envie derrière son écran. Youhou les crétins ! Regardez un peu la chance qu'on a ! Pfff... C'est mensonger et c'est pitoyable.



07H15 : J'ai un peu de mal à réaliser... J-2 ! Hier, lorsque je me disais que nous n'étions plus qu'à trois jours, je sentais ma poitrine se serrer. C'était de la joie et du soulagement aussi. J'étais transporté par une émotion forte.

Ce matin c'est différent. Je n'ai qu'une pensée en tête : Allez ma Boiteuse, tient le coup s'il te plaît ! Plus que deux jours et ensuite j'arrête de te faire souffrir ! Ne me lâche pas maintenant je t'en prie, pas si près du but !

Hier je pensais à moi et mes bêtes, aujourd'hui je pense à mon bateau.



07H30 : Merde, j'ai eu beau abattre de 30° on continue à aller au 280°. Il va falloir que je monte sur le pont pour virer le tangon... Putain, la franchement je n'ai pas envie d'aller faire le clown à l'avant...



07H50 : J'ai réduit la surface de la Mule pour faire lofer le bateau. On dirait que ça marche, sauf qu'on perd en vitesse... Je vais attendre que la matinée soit un peu plus avancée pour voir comment le vent s'établit. Cela ne sert à rien de se lancer dans des manœuvres périlleuses si c'est pour devoir recommencer quelques minutes plus tard.



09H00 : Rien ne va plus. On fait du 273° au lieu de faire du 243°. C'est vraiment n'importe quoi. Je n'ai plus le choix, j'enfile mon harnais et j'y vais.



09H20 : Pfiou.... Ça y est c'est fait. C'était chaud ! J'ai dû enfermer Zika qui n'arrêtait pas de vouloir me suivre sur le pont. On file au 245°, presque au travers droit sur les îles du Honduras que nous devrions atteindre cette nuit vers 03H00 du matin. Pour l'instant on est toujours dans les temps.



10H00 : Il y a quelques jours je vous disais que La Boiteuse 'était définitivement pas un bateau de haute mer. Trop légère, trop fine... Et vous n'imaginez pas comment c'est galère de la régler. Il me faut parfois plus d'une heure pour trouver le parfait point d'équilibre entre la voile d'avant, la Grand-Voile et le régulateur d'allure. Et une fois que c'est fait, il ne faut surtout pas que je m'avise de bouger !

Il suffit que je me penche pour allumer ma pipe, et vlan ! La voilà qui part en vrille ! L'idéal c'est la nuit, lorsque je suis allongé dans le cockpit. Mon corps, et donc mon poids, est pile sur l'axe du bateau, ce que l'on appelle la ligne de foi. Vous comprenez donc que lorsque je dis que La Boiteuse est invivable en navigation, c'est au sens propre du terme puisqu'on ne peut simplement pas vivre pendant qu'on navigue.

A l'arrêt, elle devient une chouette petite maison... Et c'est sans doute pour ça que j'ai toujours préféré les marinas ou les bouées de mouillage bien protégées du vent et du clapot. Lorsque je navigue, je suis en permanence concentré sur les éléments et sur mon bateau. Je ne peux rien faire d'autre... Aussi, lorsque je ne navigue pas, je peux enfin vivre.

Je le répète, peut-être en eut-il été différemment avec un autre bateau... Ou peut-être pas. J'ai l'habitude de dire qu'un bateau de voyage c'est un compromis entre habitabilité et navigabilité. Avec la Boiteuse il n'y a pas de compromis... C'est soit l'un, soit l'autre.



10H35 : Tien, un exemple frappant pour illustrer mon dernier commentaire. On est presque travers, je m'installe au vent (à la contre gîte) pour me caler afin d'écrire. Je m'allonge ensuite sous le vent (à la gîte) pour sommeiller un peu, et hop ! On gagne 1,5 Nœuds et 5° de cap ! Ce bateau est hallucinant.



12H00 : On tient à peu près le cap au 250°, et finalement on a réussi à tenir une moyenne honorable mais sans plus, de 4,8 Nœuds. Il reste 246 Milles à faire en ligne droite, et on est toujours dans les temps !



13H25 : Je relâche le ris n°2. On accélère.



15H30 : Wahou... Je viens de dormir deux heures d'affilé. Un café s'impose !



15H45 : Une main pour l'homme, une main pour le bateau. Cet adage sécuritaire n'a jamais été aussi vrai pour moi. Sauf que sur La Boiteuse il ne s'agit pas d'une recommandation, mais d'une obligation ! J'ai hâte de pouvoir me faire un café avec mes deux mains !

J'ai ouvert la mule au ¾ pour gagner un peu de vitesse. Tant pis pour le cap... Mais je fais le pari que le vent, avec le soir qui tombe, ne va pas tarder à mettre du Nord dans son Est. Si je me trompe, on ira droit sur le Belize... Ça vous dit le Belize ? Oui, non ? Mouais, moi non plus, trop surfait.



16H00 : La chanson du jour c'est Solsbury Hill de Peter Gabriel. Celle-la aussi c'est dur de s'en débarrasser... Comment elle appelle ça ma copine Sonia ? Un ver d'oreille ?



17H20 : J'essaye de contenir ma pensée, d'éviter qu'elle ne s'envole et me précède. D'expérience je sais que l'enthousiasme en mer se doit d'être tempéré. Surtout à quelques jours, quelques heures de l'arrivée et après deux semaines d'une navigation difficile. Il faut que je me pose et que je prenne les choses au fur et à mesure qu'elles se présentent. La mer est souveraine. C'est elle qui décide quel jour et à quelle heure tu arriveras. Toi, simple petit bonhomme sur ta coquille de noix, le seul choix que tu as, c'est de faire de ton mieux avec ce que la mer te donne.



17H45 : Tien, le vent qui nous a fait défaut toute la journée, semble vouloir revenir... Vais-je gagner mon pari ?



18H00 : 4,3 Nds sur l'après-midi... C'est plutôt mauvais, mais je m'y attendais. D'où, sans doute, mes pensées philosophico-fatalistes de tout à l'heure. Il reste 221 Milles à faire. Si j'osais je dirais qu'on devrait arriver lundi entre 14H00 et 19H00... Mais sérieusement, j'ai un gros doute sur notre capacité à arriver avant la nuit. Si dimanche soir cela se révèle impossible à faire, il faudra alors que je ralentisse pour pouvoir entamer l'approche sur Livingston mardi matin.

De toute façon, attendons de voir comment cela se passe cette nuit. On devrait atteindre Roatan au lever du jour... J'espère. Enfin, on verra bien ! Comme je l'ai dit plus haut, je vais essayer de faire de mon mieux.




Le dimanche 9 décembre 2018



05H30 : En ce jour du Seigneur, alors que Prime n'a pas encore sonné, priez avec moi, mes frères et sœurs. Louez le Seigneur pour ses bienfaits, contemplez avec moi cette lueur d'espoir qui éclaire la sombre nuit (non, pas par là crétin ! De l'autre côté !). Remerciez le Seigneur de nous permettre de contempler après un si long voyage ce halo merveilleux et étincelant (mouais, pas tant que ça quand même...). Remerciez le Seigneur de nous offrir le réconfort d'une trace de civilisation dans cette immensité déserte (c'est bon, on a finit là ?), Contemplez le miracle de Dieu ! Contemplez les lumières de l'île de Guanaja ! (Euh... T'es sûr au moins que c'est elle ?). Amen... Et oui, je suis sûr que c'est elle. Tas gueule.



06H05 : Toute la nuit j'ai fait de mon mieux pour conserver un cap optimal. D'habitude je jette juste un œil sur le compas pour vérifier que l'on va toujours plus ou moins dans la bonne direction, mais le compas n'est pas très précis et l'on peut très bien dériver de 10 ou 15° sans que je ne m'en rende compte. Là, j'ai pris la peine d'allumer mon téléphone toutes les deux heures pour vérifier et corriger notre route. Le résultat est quasi parfait. Nous sommes à moins de trois Milles du waypoint des îles du Honduras, et il reste 169 Milles à parcourir. Malheureusement la vitesse pour la nuit n'a pas été à la hauteur : 4,3 Nds de moyenne... Dommage.

Touline est sur le pont, Zika dort encore allongée sur la banquette du carré, le jour pointe à l'horizon.



06H25 : Oh putain ! Baleine ! A une quarantaine de mètres sur tribord, un souffle ! J'ai rêvé ou quoi ? Non ! J'entends son chant à travers la coque ! Il fait trop sombre, je ne la vois plus.... Merde !

Je me retourne alors vers le sud pour contempler la silhouette de l'île de Guanaja qui se découpe dans l'aube naissante. Terre ! La première depuis treize jours !



06H50 : Je vous fait grâce des calculs, mais sachez que ça devient de plus en plus tendu en ce qui concerne une éventuelle arrivée demain avant la nuit. Il va vraiment falloir que je donne tout et que je fasse sortir ses tripes à mon bateau si on veut arriver à temps. Fini le mode voyage, on passe en mode course !



07H00 : L'île de Roatan, toute en longueur, visible sur bâbord avant.



07H20 : Sachez, chers lecteurs, que si nous n'arrivons à temps à Livingston je dispose néanmoins d'un plan B, voire même d'un plan C. (Un bon marin fait des plans avec des lettres majuscules, c'est son hobby).

Plan B : Si jamais cela se joue à quelques heures, une ou deux maxi, j'ai la possibilité de mouiller à l'abri d'une pointe qui s'appelle Tres Puntas située à 10 Milles de Livingston. Je pourrais y passer la nuit et repartir le lendemain pour finir cette fichue traversée. Bien évidement, il serait préférable que j'atteigne ce mouillage de jour... C'est plus sûr.

Plan C : Si cela se joue à plus d'une heure ou deux, il va falloir que je ralentisse le bateau, voire même que je me mette à la cape, afin de passer une ultime nuit en mer et rejoindre Livingston mardi matin.

Comme vous le voyez, à ce stade il m'est impossible de vous dire quand nous arriverons exactement. Ce sera demain en fin de journée, ou mardi matin... Ce qui est sûr par contre c'est qu'on arrive ! Enfin !



10H15 : Je viens de lâcher mon dernier ris. Après ça, advienne que pourra ! La Boiteuse est désormais toutes voiles dehors et il fait un temps splendide. Presque pas de vent, mais on arrive quand même à tenir une moyenne honorable. C'est maintenant que ce qui fait de mon bateau une piètre embarcation par gros temps doit se transformer en avantage. Allez, fonce ma belle !



10H40 : C'est la fête pour l'équipage ! J'ai ouvert une boite de Sheba, un tiers pour Touline et deux-tiers pour Zika. Et moi, je mange quoi à midi ?



Miam !
12H05 : C'est pas la joie. 27,3 Milles de parcourus depuis ce matin, ça fait 4,55 Nds de moyenne... Le souci c'est que si je veux garder un cap optimal au 250° (pour faire le moins de route possible) il faut que je me maintienne à 100° du vent. Et sous cet angle il m'est impossible de me servir de mon arme secrète, le spinnaker. C'est vraiment pas de bol car pour l'instant c'est quasiment la pétole. On se traîne à trois nœuds.

J'en profite pour me mettre au fourneaux. Au menu ce midi, Noix d'épaule de porc sur son lit de tagliatelles accompagné d'une sauce forestière.



12H50 : Pendant que le repas mijote, je réfléchis à ce que je vais faire cet après-midi. Puisque de toute façon, quoique je fasse le bateau n'avance pas, autant profiter de ce calme pour faire quelque chose d'utile, non ?

Ranger le bateau par exemple, et puis me laver aussi... Oui, je crois que se laver serait une bonne idée après deux semaines de mer...



13H15 : Fichtre, je me suis fait péter le ventre !



13H35 : Tien donc, serait-ce une légère brise que je sens sur mon visage ?



15H00 : Là, on est empétolé pour de bon. Le régulateur d'allure décroche. On avance à 1,5 Nœuds.



15H25 : Trop drôle ! Voilà l’Étoile qui repasse dans l'autre sens ! Qu'est-ce que je fais ? J'essaye de l'appeler pour prendre des infos ou pas ? En tous cas il m'a vu car il vient de corriger sa course de 5°. C'est cool l'AIS quand même...



15H50 : Je me suis lavé sur le pont. L'eau était bonne, et maintenant je sens l'extrait naturel de noix de coco. Tout en me lavant j'ai pu constater à quel point j'avais maigri/minci pendant cette traversée, et je me disais que ce serait cool de ne pas reprendre trop de poids cette fois-ci. Non-pas pour séduire les chiquitas, mais pour soulager ma cheville.

Sinon, comme nous avions un peu abattu je me suis installé sur la plage avant pour installer le spi et puis... Il fait nuit dans deux heures, est-ce que ça vaut vraiment le coup de se décarcasser ? La moyenne depuis ce midi a été de 2,8 Nœuds, 3,86 depuis ce matin... La seule façon d'y arriver demain avant la nuit serait de foncer tout du long à plus de 5,2 Nœuds... Autant dire que c'est foutu. On n'y arrivera pas.



16H00 : Peut-être que cette nuit nous aurons une petite brise sympa comme les deux nuits précédentes ?

Et le moteur me direz-vous. Oui, pourquoi ne met-il pas le moteur si c'est si important pour lui d'arriver avant la nuit ? Le moteur c'est niet. Pas tout de suite. Pas à 132 milles de l'arrivée. Dix ou vingt, je veux bien, mais pas si loin.



16H50 : Ça y est, on a un peu de vent ! On avance à 2,7 Nœuds à 130° du vent. Le cap ? On s'en fout un peu maintenant. Je dirais vers le soleil couchant, un poil sur tribord.



18H20 : 2,78 Nœuds de moyenne pour l'après midi. C'est vraiment pas top. Comme prévu le vent vire peu à peu au Nord-Est et je suis obligé d'empanner et de tangonner pour conserver un cap sûr. Roatan est à moins de dix milles sur bâbord quand même, il ne s'agirait pas de s'en approcher de trop près.

Je pense que je vais faire comme la nuit dernière et surveiller mon cap toutes les deux heures avec mon téléphone. C'est drôle, mais je n'arrive pas à me désoler complètement de ce contre-temps. Je veux dire, ok on arrivera pas demain, mais après demain... C'est rageant mais ce n'est pas la mer à boire non-plus... Allez, plus que 130 Milles à faire et on y est !



Le lundi 10 décembre 2018



05H30 : Cela fait une demi-heure que je tourne et vire allongé dans mon cockpit en essayant de grappiller quelques minutes de sommeil en plus. Malgré l'absence de lune la lumière des étoiles est suffisante pour me permettre de distinguer une grosse masse sombre sur l'avant et quelques rideaux de pluie. Je ne suis pas trop inquiet, même si La Boiteuse se trouve actuellement toutes voiles dehors. Pas trop mais quand même un peu...

La pluie arrive. De bonnes grosses gouttes qui tombent quasiment à la verticale. Je m'abrite comme je peux. La capote fuie et j'ai laissé mon ciré à l'intérieur... Une averse tropicale comme je les aime, sans vent. Un avant-goût de ma future vie au Guatemala.

Je me réfugie à l'intérieur, et commence à me préparer un café. L'équipage est déjà debout, agglutiné au pied des marches, mais cette pluie semble les empêcher de sortir... C'est bizarre. D'habitude quand il pleut le bateau bouge plus que ça ! Et puis le Capitaine il devient tout nerveux !

Ça y est, c'est fini. Mes fidèles amies sortent sur le pont humide pour se dégourdir les papattes. Pendant ce temps-la, j'écris. J'attends six heures pour voir où on en est.



06H10 : 37 milles à 3 Nœuds de moyenne. Ce n'est pas si mal compte tenu des circonstances. La route a été parfaite et nous amène droit sur la bouée d'accès au chenal de Livingston. Elle se trouve à 62 milles. Si l'on se base sur la vitesse actuelle on y est dans 24 heures. Ensuite il ne restera plus que 30 milles à faire pour arriver.



06H35 : Je vous l'ai dit, La Boiteuse a besoin de soins. Son dernier carénage remonte à trois ans. En Martinique j'ai changé ou réparé pas mal de choses essentielles, comme le gréement, les winchs, le moteur et l'enrouleur, mais j'ai laissé se détériorer pas mal de choses non-essentielles.

Au sommet de la liste, il me faut un nouveau portique. Il me faut aussi refaire toute la sellerie, intérieure et extérieure, ainsi qu'un nouveau matelas pour mon lit. Re-stratifier le pont avant tribord. Refaire liston tribord. Refaire toute la peinture de pont, plus antidérapant. Réparer/refaire le safran. Refaire tous les vernis intérieurs. Modifier le plan cuisine pour y intégrer le nouveau frigo et une nouvelle cuisinière avec un four. Réviser/réparer ou changer les voiles qui en ont besoin. Antifouling.

Bref, comme vous le voyez, j'ai du boulot en perspective.



06H50 : Ça y est il fait jour, on commence à y voir quelque chose. Je sais qu'avec l'âge j'ai tendance à devenir cynique et un peu désabusé (non, ne dites pas le contraires, c'est un fait dont j'ai pleinement conscience). Cynique, désabusé et de plus en plus ironique. Ce qui me permet d'apprécier ce paradoxe : Se taper deux semaines à fond la caisse dans une mer démontée pour se retrouver en encalminé à deux jours de l'arrivée. Si ça ce n'est pas de l'ironie !



07H35: J’aperçois les côtes du Honduras, plein sud à 25 Milles. Le ciel est très couvert avec quelques averses autours de nous. J'essaye de trouver mon chemin au milieu de ces vents tournants. Parfois celui-ci vire de 70° pendant quelques minutes puis reprend sa direction initiale... Au début j'essayais de suivre avec les voiles, mais maintenant je laisse faire ; Tant qu'on reste loin de la côté et qu'on avance plus ou moins dans la bonne direction, tout va bien.



Une pensée me vient, aussi soudaine qu'évidente.

Au début de mon voyage je n'espérais qu'une chose, trouver une compagne pour partager ma vie et ses aventures. Aujourd'hui je pense exactement le contraire. Pour rien au monde je ne souhaiterais partager ces moments de navigation avec quelqu'un d'autre et a fortiori la femme que j'aime. Déjà, si par chance je rencontrais une femme désireuse de naviguer avec moi sur La Boiteuse, et j'en ai rencontré quelques-unes, vous pouvez être sûr qu'elle débarquerait dès l'escale suivante. Et je ne pourrais absolument pas le lui reprocher... Mais moi, comment oserais-je un seul instant vouloir lui imposer une épreuve pareille ? Ce serait bien trop cruel ! Sans parler du danger... Parce que mettre ma vie en jeu, et celles de mes bêtes, c'est une chose. Mais mettre la vie de mon amour en jeu, ça c'est hors de question.

Putain, je crois que je viens enfin de comprendre ce qui cloche chez moi... Il m'est devenu impossible de me projeter dans l'avenir avec une femme parce que je sais qu'une partie non négligeable de ma vie sera hautement inconfortable et périlleuse. Et si j'aime cette femme, si je la respecte, je ne peux absolument pas lui demander de partager ça avec moi. De part mon éducation et ma culture personnelle, l'idée même que je me fais de l'amour, c'est impossible. Mais comme jusqu'à présent je n'en n'avais pas conscience, j'ai préféré tout foutre en l'air avant même de me retrouver confronté à ce paradoxe...

Putain de bordel de merde... Si j'ai raison, il va vraiment falloir que je change de vie.



09H05 : Étant donné l'état de la mer, le vent et la vitesse du bateau, j'en déduis qu'il y a du courant, et pas un petit. Par contre je ne sais pas où il porte...



10H50 : Ça va faire deux heures qu'on enchaîne grain sur grain. On trace à plus de cinq nœuds de moyenne. Ce Golf du Honduras est vraiment bizarre...



11H20 : J'ai dû prendre en urgence les deux ris d'un coup. Ça commençait à devenir dangereux.



11H30 : Et bien voilà que ça se calme... C'est quoi ce temps ?



12H00 : Pétole dans un mer formée, j'adore ! On a fait 20 Milles depuis ce matin, en zigzag. J'en ai chié, croyez-moi... Et c'est pas fini ! Je ne distingue dans le ciel aucune amélioration. Le baromètre est monté jusqu'à 1016 Hp alors qu'il était à 1014 ce matin. Bon an mal an on garde le cap.



13H00 : C'est clair qu'il se passe quelque chose. Je ne sais pas ce que c'est, mais c'est pas bon. Pas bon du tout...



16H05 : Je me suis réfugié à l'intérieur. Je n'en peux plus. La tempête se déchaîne dehors avec des vent à plus de 50 Nds, peut-être 60. Je n'ai jamais vu ça (si deux fois, pendant le passage de la tempête Matthew et de l'ouragan Maria. Mais j'étais à quai). On encaisse comme on peut. La route est toujours bonne, il reste moins de 30 Milles à faire jusqu'à la bouée. Je continue vers Livingston... Pas le choix de toute façon, c'est ça ou les récifs du Bélize, ou les côtes du Honduras... Je prévoie de mouiller derrière Tres Puntas... Quand, je ne sais pas. Mais j'espère que ce sera passé d'ici là.



16H50 : Vidéo




Ensuite, mon Journal de Bord n'indique plus que des chiffres. 18H00 : 18 Milles. 19H00 : 12 Milles. 20H00 : 7,5 Milles....

Le fait est que j'avais autre chose à faire que de m’épancher sur mon cahier à spirale. Tout de suite après la vidéo, j'ai eu juste le temps de faire rentrer les bêtes avant que la tempête ne reprenne de plus belle. C'était... C'est difficile à décrire maintenant qu'un peu de temps a passé. Les souvenirs s'estompent, les faits précis se diluent. Seul persiste le sentiment. C'était... Tendu, brutal, flippant aussi.

La mer était en furie, la pluie et le vent étaient déchaînés. Plusieurs fois je suis descendu m'enfermer dans le bateau pour me réchauffer. Je me souviens m'être retrouvé en début de soirée assis par terre au pied des escaliers, je m'étais fait une tasse de café et j'y trempais des spéculos. Je me disais que je devais absolument mangé et boire quelque chose de chaud pour tenir le coup. La moitié de ma tasse s'est renversée sur Zika qui s'était blottie contre moi...

Je me souviens aussi qu'à un moment j'ai entendu un grand bruit métallique et que le portique s'est mis à branler de nouveau dangereusement. J'ai dû jouer les acrobates pour consolider l'ensemble... Bien sûr, dès le début de la soirée j'avais revêtu mon gilet et mon harnais et je m'étais attaché dans le cockpit. Le vent et les vagues venaient du Nord Ouest à présent et comme nous faisions grosso-modo cap au 250°, nous prenions tout par le travers. Puis ce fut du bon plein, et enfin du près. Par deux fois La Boiteuse s'est retrouvée au tapis, couchée par une déferlante.

D'heure en heure mon angoisse grimpait au fur et à mesure que les distances se raccourcissaient. Je n'avais qu'une peur, c'est que La Boiteuse me lâche. Que quelque chose casse. Puis à 21H24 nous avons passé la bouée d'entrée dans la Bahia de Amatique. A partir de là nous entrions en territoire guatémaltèque, et les récifs du Bélize situés au Nord allaient peu à peu nous protéger. Le plus dur était passé, mais le vent persistait à vouloir dépasser les trente nœuds rien que pour nous emmerder. Dans le noir le plus complet, sous la pluie, j'ai visé un point sur la carte : Cabo de Tres Puntas. Saint Opencpn, priez pour nous...



Nous avons atteint le cap à une heure du matin le mardi 11 décembre. Grâce au lecteur de carte j'ai pu aisément le contourner et je me suis retrouver sous son vent. Et là...Plus de vent, une mer plate comme la main... Une délivrance ! J'ai démarré Mercedes avec un nœud à l'estomac. Ma vieille bourrique a tousser, puis c'est mise à ronronner. Ouf ! Ah merde, le pilote ! Je retourne le chercher, il est au sol dans le carré. Je vais pour le brancher et... Merde ! Putain Zika, tu ne m'a pas fait ça ! La prise est rongée ! Vite, le pilote de secours ! Re-ouf ! Il fonctionne...

Dans le noir le plus complet je rejoins un point que j'ai fixé sur la carte, 3m de fond, ça devrait aller. Et à 02H45 je largue mon ancre et quarante mètres de chaîne. La Boiteuse s'immobilise pour la première fois en 15 jours.

Grrrrrr...!!!!
Je n'en reviens pas d'avoir réussi. Il y avait tellement d'impondérables, tellement de trucs qui pouvaient foirer ! Et pourtant je suis là, sain et sauf. Du coup je me suis versé une lampée de mon rhum hors d'âge dans mon quart en alu, et je me suis offert le coup du réconfort. Zika et Touline parcourent le pont en tout sens. On ne voit rien, mais on peut entendre les grillons et le bruit des vague. Tout est tellement paisible que ça en est irréel.

Il fait froid. Un froid de gueux. Je descend dans le carré pour me blottir dans mon duvet humide. Zika et Touline elles, préfèrent rester sur le pont. Toutes les deux ont la tête tournée vers le rivage, Elles contemplent les ténèbres en écoutant le bruit de la terre... Je m'endors enfin.



Le mardi 11 décembre 2018



06H30 : Mes yeux se sont ouverts d'un coup. Je regarde l'heure sur mon téléphone, il est 06H00 pile. Pendant un bref instant je me suis dit : merde... Il faut que je fasse le point... Avant de me rappeler où j'étais. Ma seconde pensée a été de me dire : mais t'es con mon pauvre garçon, il est une heure de moins ici, tu aurais pu dormir une heure de plus !

C'est vrai que la nuit a été courte. J'ai dormi deux heures et demi... Oh et puis merde ! Lève-toi mon Gwen, et allons voir à quoi ressemble ce nouveau pays !



Il fait froid, très froid. Je me dis que c'est sans doute parce que je suis faible... Ces dernières vingt-quatre heures ont été relativement éprouvantes somme toute. Je m’emmitoufle dans des vêtements chauds et je vais siroter mon café dans le cockpit. Je suis assis exactement à la même place que d'habitude, sauf qu'au lieu d'avoir les jambes calées pour me prémunir du roulis, je m'assied en tailleur. La Boiteuse est immobile dans le noir absolu. Donc je vais attendre qu'il fasse jour !



05H45 : Je viens de reculer les pendules d'une heure pour me mettre raccord avec le fuseau horaire du Guatemala. Il nous reste douze Milles à faire pour rallier Livingston. Je pense repartir vers huit ou neuf heures comme ça cela va me laisser un peu de temps pour remettre le bateau en ordre afin qu'il soit présentable pour la visite des autorités.





06H00 : L'aube pointe. Une aube grise. Devant la proue de La Boiteuse se dévoile peu à peu des arbres, une plage, un hameau sur la droite (putain c'était ça la lumière d'hier au soir ! J'ai cru que c'était un pêcheur nocturne !). C'est bizarre, j'entends le mugissement du vent mais il n'y pas une ride sur l'eau... Euh... Attendez une minute, ce n'est pas le vent ça ! Ce sont des singes hurleurs !!!

Je vois quelques barques de pêcheurs en train de remonter leurs filets. Quand je pense que cette nuit je suis passé au milieu de tous ces petits flotteurs sans en prendre un seul dans mon hélice... Si c'est pas du bol ça !



06H20 : Je vous avoue que je suis complètement paumé ce matin. Je repense à ces dernières heures et une partie de moi n'en revient toujours pas d'être vivant. Et une autre partie de moi me dit : Bien joué mon petit père. Tu avais un plan, que tu as suivi à la lettre. Chaque étape comportait sa dose de risque, mais tu as su gérer d'une main de maître... Bref, j'oscille entre soulagement et fierté.



06H40 : Ça y est le pont est en ordre. Je n'ai pas oublié de hisser le pavillon jaune. Il ne me reste plus qu'à m'occuper de l'intérieur maintenant... Vous savez, c'est paisible ici. J'entends des oiseaux que je n'ai jamais entendu auparavant. Des pélicans viennent me dire bonjour... J'aurais presque envie de m'y attarder une journée de plus.

Mais non, je veux en finir une fois pour toute avec cette épreuve. Et puis je suis impatient de donner de mes nouvelles, car si l'un d'entre vous à suivi la météo il doit s’inquiéter. D'ailleurs je ne sais toujours pas ce qu'il s'est passé exactement, et j'aimerais bien comprendre pourquoi on s'en est pris autant dans la gueule. Donc, on termine de préparer le bateau, et on y va !



07H00 : Les bêtes ont l'air contentes. Touline ne quitte pas des yeux les barques de pêche, et Zika reste roulée en boule sur le pont. Elle doit avoir froid la pauvrette ! Cela dit j'aimerais bien qu'elle mange, parce que hier au soir elle n'a rien avalé et ce matin non-plus.



07H30 : Je me pose une question : Est-ce que je dois compter cette pause à Tres Puntas comme faisant partie de ma traversée, ou pas ?





08H00 : Allez, on lève l'ancre et c'est parti !



08H25 : On avance peinard, 4 Nds au moteur. Je n'ai pas pris la peine de sortir de la toile. Nous sommes à la croisée de trois pays. A droite, le Belize. Devant moi le Guatemala, et derrière le Honduras.



08H40 : J'ai l'estomac qui crie famine ! Normal, je n'ai pratiquement rien avalé de solide depuis... Dimanche midi ! Et après on s'étonne que je perde du poids en mer !



09H14 : Nous venons de contourner le haut fond qui se trouve au milieu de la Bahia Amatica. Livingston droit devant à 4 Milles ! Un pélican nous précède.



09H20 : Yeah ! Un rayon de solei tout chaud vient de percer les nuages !



09H45 : Je vois des collines et des montagnes au loin... C'est assez accueillant comme vision.



09H56 : Bouée d'eau libre en visuel. C'est après que ça va se compliquer un peu car il va nous falloir passer la barre, une espèce de seuil de faible profondeur comme ceux que l'on retrouve la plupart du temps à la sortie des grands fleuves. Normalement, d'après mes informations avec 1,70m de tirant d'eau on devrait pouvoir passer même à marée basse. Normalement...



10H25 : Et merde ! ON EST PLANTÉ  !



Nondidiou de nondidiou... Ça n'en finira donc jamais ? Je suis bel et bien planté. Le sondeur indique 1,40m. Il n'y a pas trop de vague, mais elles suffisent quand même à faire taper la quille et le safran. La seul façon de limiter les dégâts, c'est d'avancer moteur à 1100 Tr/Mn... J'essaye à droite, j'essaye à gauche. Par moment j'ai l'impression d'arriver à avancer de quelques centimètres... Mais non.




11H30 : Ah mais serait-ce mon sauveur qui se pointe ? Ouiiiiii !!!

Un petit bateau de pêche avec à son bord un couple et un enfant m'approche et me propose son aide. Moyennant rétribution bien entendu. Le type s'appelle Hector et il semblerait qu'il se soit fait une spécialité d'aider les voiliers imprudents à passer la barre. J'accepte avec joie et constate assez vite que la manœuvre n'a aucun secret pour lui. Il me jette une longue amarre et tente de me remorquer en force, mais cela ne marche pas. Plan B, j'attache son amarre à la drisse de spi et il fait pencher La Boiteuse, moteur embrayé à petite vitesse... Yes ! On avance ! On parcoure quelques centaines de mètres avant que le sondeur ne commence à afficher des chiffres plus attrayants. 2m, 2,5m... Je largue tout et je suis le bateau d’Hector qui m'a proposé de m'accompagner jusqu'à ma place de mouillage.



On y est. Je met au point mort, mais je sens que la manette est dure. Pani pwoblem, ça m'arrive parfois. Je vais à l'avant, je largue mon ancre et laisse filer la chaîne... Et je constate que malgré un fort courant on continue d'avancer ! Bizarre non ? Est-ce à cause de la fatigue, de mes nerfs soumis à rude épreuve ces dernier temps, ou bien d'une infirmité congénitale, mais j'ai un peu de mal à comprendre ce qu'il se passe. Je retourne au cockpit, fait demi tour parce qu'on a dépasser la zone de mouillage, tout en traînant mon ancre le long de ma coque... Et je ne comprends toujours rien à ce qu'il se passe ! Hector est là sur son bateau à me regarder, et lui aussi se demande ce que peut bien foutre ce bougre de gringo !

Soudain j'ai l'idée d'ouvrir la trappe située au pied de la descente pour regarder mon arbre d'hélice. On est au point mort (t'es sûr ? Vérifie quand même. Oui, on est bien au point mort, goupille tirée), et l'arbre tourne toujours. Euh... J'ai le cerveau gelé. C'est pas normal ce truc. Pas normal du tout. Alors ont fait quoi ? Euh... je sais pas... J'arrive pas à réfléchir !



Ben éteint le moteur abruti !



Oups ! Oui, pardon, c'est ça qu'il faut faire ! J'actionne l’étouffoir, le moteur s'arrête. On continue pendant un moment sur notre lancée, puis le courant nous chope et La Boiteuse commence à reculer. Je vais à l'avant pour surveiller la chaîne et je m'aperçois que j'ai mal resserré la manivelle et que toute la chaîne s'est barrée jusqu'au câblot ! Heureusement, la manille qui relie la chaîne au câblot s'est mise en travers de l'écubier et est resté bloquée...



Ouf ! La Boiteuse est ancrée en face de Livingston... Enfin ! Avec cinquante mètres de chaîne dans 2,5 mètres d'eau ! C'est ce j'appellerais une arrivée merdique !

Mais bon, merdique ou pas, s'en est enfin fini avec cette trans-caraïbe. Je descend à l'intérieur et je note sur le Journal de Bord officiel :



12H15 : Arrivée à Livingston, arrêt moteur.

Position : 15°49.256N 88°44.941W

Loch : 1713,6 Milles. Vitesse Moyenne : 4,8 Nœuds. Temps de la traversée : 363,27 heures.

Soit 15 jours, 3 heures et 16 minutes.



Bienvenu au Guatemala !